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Notre montagne et ses hommes

Saint-Elisée de notre enfance
              Voyage au travers du temps

Ste Sabine et St Élisée
Ste Sabine et St Élisée
L
e merveilleux se conjuguant au magique : le pèlerinage jusqu’à la petite chapelle de notre belle montagne prenait une allure non seulement de fête, mais, sans sublimer, nous, enfants, vivions dans un monde féerique devant nous conduire jusqu’à ce lieu symbolique où nos anciens se rendaient chaque 29 août, au travers des chemins de la transhumance.

Les préparatifs se faisaient longtemps à l’avance, car, outre « a prisacca », il fallait penser aux bougies pour honorer Sainte Sabine, Saint-Elisée, ainsi que l’enfant Jésus, penser aux allumettes, aux bonbons pour la route, et à «a zucca » soigneusement rangée l’année durant, à la lampe torche devant éclairer notre chemin, au bâton noueux transmis de génération en génération sur lequel on pouvait s’appuyer.. Durant des jours, le sac à dos était « revisité » de crainte d’oublier…

La fébrilité était telle que, dormir la nuit du 28 au 29 août était une gageure, chacun attendant le moment où le réveil sonnerait pour se préparer à cette ascension, mais celui-ci était inutile…tant le sommeil n’arrivait pas à nous « terrasser ».

Joseph Antoine
Joseph Antoine
Cinq heures, le jour n’est point encore levé, a cicona sonnée à la volée par Ghjisepp’Antone annonce l’heure de se mettre en route. Chacun chaudement vêtu, tant le temps est frais, car après le 15 août, les orages de l’après-midi rafraichissent l’atmosphère, chacun donc attend avec impatience, le départ de la place de l’Eglise. On s’appelle, on s’interpelle, ici Celinda, là Angèle-Marie, un peu plus loin, Madalenuccia di a Piazza a Figa, plus haut encore, Michele di Rossu et Marinetta di Piazza Capitana, Luisa di Martin, on n’oublie personne, et l’excitation est à son comble.

Les premiers pas sont difficiles, car après le petit pont, le raidillon s’annonce. On évite de se parler comme on nous l’a appris, afin de ménager notre souffle… Les senteurs inondent nos narines, les champignons ne sont pas loin, l’âcreté de la moisissure parle d’elle-même sous le couvert des feuillus et des épineux.

U prete Cesari, 1960
U prete Cesari, 1960
Première étape, A Casetta di l’Abertina… on s’assied, on souffle un peu, on boit une gorgée d’eau…le parcours est encore long…l’aube commence à poindre, le laiteux se mêle au rougeoiement des premiers rayons de soleil qui sont une véritable promesse d’une belle journée. Alors, on se remet en route, sans se presser, afin de s’économiser…on chemine au travers d’herbes folles, et d’immortelles jaunies par l’été dont le parfum envoute, jusqu’à arriver à I Culletti….de temps à autre, les enfants brûlent, comme il est de coutume, des massifs de genévriers qui crépitent joyeusement. Nous sommes à présent au bas de l’Ernacce… que le sommet semble loin, la pente à gravir est raide ! encaissé, le chemin se faufile entre blocs de granit, mousses, petits sapins ou encore hêtres, on glisse sur les feuilles luisantes au sol, on se « rattrape »…on se tait… et enfin, au terme de cette grimpée qui semble ne plus vouloir se terminer…nous ne sommes qu’à quelques dizaines de mètres de la chapelle ; le paysage change soudainement, l’espace nous est ouvert, offert, et nous découvrons la petite église dont la cloche que les enfants, premiers arrivés, de leurs bras tendus, sonnent allègrement. Sur notre gauche, les bergeries di a Coda u Pratu, plus loin, le regard s’ouvre sur les bergeries de Polveroso, plus haut encore, E Cavallerecce, et enfin, nous sont donnés en cadeau, le Monte Cardu et a Punta Latiniccia.


Les sacs à dos sont littéralement « jetés » par terre, en sont extraites les bougies allumées à l’intérieur de la petite église, à même le sol. Une ambiance curieuse règne, chaleureuse, rayonnante, unissant la chaleur des bougies à une spiritualité palpable… ici, passé et présent ne font qu’un dans le solennel ! Il est temps de se diriger vers la source de Saint-Elisée, près des bergeries du Barghellu, sur le versant du Misognu. Il est l’heure du spuntinu…On s’assoit, on rit, l’ambiance est conviviale…la saveur de notre collation est décuplée….l’alimeu apporté par Vévé di a Vacaghja est le bienvenu… Prete Paulucciu, est lui aussi de la fête et plaisante avec ses ouailles qu’il invite à rejoindre la chapelle où la messe est célébrée en plein air… Paulucciu, l’Abbé Cesari di a Riventosa, de ces curés de campagne qui marquent les esprits …Elle sera suivie de la procession, les Saints portés à bras d’homme sur des brancards, et présentés aux quatre points cardinaux, pour les rogations : « peste, fame e bello, libera nos Domine… ».

U pastore Eliseu
U pastore Eliseu
C'est le moment choisi par les bergers qui apportent en offrande quelques fromages pour remercier le Créateur qui, au travers de la petite chapelle et ses saints veille sur eux, sur une nature qui leur devient clémente, sur leurs bêtes... ainsi que tout ce qui contribue à la prospérité de leur dur labeur.

Après le sacré, où dans cet endroit béni des dieux, il garde tout son sens, place est faite au profane, et l’on s’achemine vers le Caracutu, (le houx), dans le rire et le chant, pour concélébrer le traditionnel repas de midi où chacun, depuis des décennies, retrouve la « place » qui lui est attribuée. Ici, immuablement, tant on a l’impression que rien ne change, l’on sait et l’on respecte l’endroit de chaque famille, comme on respecte le vôtre. Le partage, maître mot de cette cérémonie où le voisin vous fait participer à son festin… les melons et la dame-jeanne de vin sont au frais sous la source qui coule… et le bonheur n’est réel que partagé.

La fontaine du Caracutu
La fontaine du Caracutu
Les rires se croisent, les cris des enfants qui jouent retentissent, la montagne renvoyant leur écho, certaines personnes plus anciennes prennent, le temps d’un somme, des forces pour redescendre vers le village. Les visages sont sereins, les cœurs, heureux, de par le tutoiement de cet univers dans lequel ils ont puisé force et paix.

A l’attempata, l’on s’achemine lentement vers le Sartellu, ultime étape de ce périple, où là encore, un frugal goûter sera pris en commun, le chocolat « circule » de main en main, les fruits aussi…on se désaltère à la source (l’ochju), cette source qui a vu en son temps, i sgiò, friands de cette eau réputée et appréciée, qu'ils envoyaient quérir… et l’on rejoint le village, le cœur et les sens emplis de gratitude et de joie, dans l'harmonie jusqu’à l’année prochaine.
Y.M.



E Cavallerecce
E Cavallerecce
E Cavallerecce

Situé au dessus de la chapelle de saint Elisée, le site des Cavallerecce domine le Vénacais du haut de ses 1736m.

Construit à flanc de montagne, l’ensemble en pierres sèches se compose de deux cabanes semi-circulaires à la couverture en encorbellement, de deux casgili et d’un enclos de traite (compulu).

Bien qu’inutilisé depuis les années soixante dix, ce stazzu garde encore aujourd’hui la trace E Cavallerecce
E Cavallerecce
prégnante de la présence des bergers qui y vécurent avec leurs troupeaux au fil des étés.

Exposé à l’est, il offre une vue panoramique sur les villages du Vénacais et les montagnes du Boziu.

Face à cet espace infini, dans ce cadre serein où le temps s’abolit, l’homme et la nature vibrent à l’unisson dans une harmonie retrouvée.

Sebbiu et Mme Bonnet, 1954
Sebbiu et Mme Bonnet, 1954
Sebbiu et Jean-Pierre Cesari
Sebbiu et Jean-Pierre Cesari
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